Une épidémiologiste à Odynéo
Début mai, Sophie Goyet a rejoint Odynéo pour aider à mettre en place le déconfinement. Le 24 juin 2020, elle est revenue sur cette expérience. Interview.
- Vous êtes épidémiologiste, en quoi consiste votre travail ?
Il s’agit d’étudier, prévenir et traiter les problèmes de santé survenant dans la population. Le plus souvent les épidémiologistes s’intéressent aux maladies infectieuses, dues à un microbe ou à un parasite ; mais on peut aussi s’intéresser à d’autres problèmes comme l’obésité, ou même certaines pratiques médicales, qui se répandent de façon incontrôlée et sans fondement médical. L’épidémiologie est une discipline scientifique, elle aide à améliorer la santé des populations.
- Quelles études avez-vous faites pour devenir épidémiologiste ?
J’ai suivi une Licence de santé publique, puis un Master 1 et un Master 2 de Santé publique option Epidémiologie, et enfin un doctorat de sciences.
- Qu’appréciez-vous le plus dans votre métier ?
Personnellement, j’aime beaucoup le fait que ce soit un métier à la fois de terrain et de travail en bureau. On est aussi souvent les deux pieds dans la boue que devant un ordinateur à analyser des données.
Mon métier m’amène au lit des patients, en France comme dans d’autres pays, mais aussi dans les bureaux des ministres quand je vais défendre les résultats de mes études et demander la mise en place de mesures de protection des populations. C’est alors aux autorités de prendre les décisions et d’appliquer ou non les recommandations.
- A Odynéo, quelles ont été vos missions ?
J’ai été recrutée dans le cadre de la gestion de la crise Covid-19, sur un temps court, donc. Mon principal travail a été de proposer des recommandations pour que les équipes assurent les conditions de vie les plus sécurisantes possibles aux usagers et à leurs familles et travaillent en se protégeant elles-mêmes au mieux.
J’ai eu un rôle de conseil pour la mise en place des procédures de déconfinement, en cherchant toujours à me baser sur les recommandations ministérielles et des instances de santé, mais aussi sur la science. Par exemple, j’ai préparé avec deux médecins de l’association une revue de littérature scientifique au sujet de l’utilité, dans les établissements Odynéo, des tests biologiques pour le suivi de la maladie Covid-19.
J’ai aussi passé du temps ‘sur le terrain’ avec la visite des établissements pour voir dans quelles conditions les usagers vivaient et avaient accès aux services, et comment les équipes travaillaient pour diminuer les risques de transmission.
- Était-ce compliqué d’adapter les consignes sanitaires officielles dans les établissements d’Odynéo ?
Je ne dirais pas compliqué mais à Odynéo, on est passé par plusieurs phases.
Au tout début de la crise sanitaire, il y a eu pléthore de textes officiels très techniques et compliqués, émanant du ministère des Solidarités et de la Santé, de la Métropole de Lyon, des Agences Régionales de Santé (ARS), de l’Agence de santé publique, des sociétés pédiatriques…. Il fallait les décrypter et les traduire en langage plus simple parce que les directeurs n’avaient absolument pas le temps de lire toutes ces recommandations en l’état. C’était mon rôle.
Lors de la deuxième phase, on s’est aperçu que certains aspects n’étaient pas traités dans les textes officiels. On était en avance, notamment sur la réouverture des crèches. Il a fallu produire des guides pour les équipes. Les textes officiels sont arrivés ensuite, et nous ont confortés dans les procédures à mettre en place.
Pendant la troisième phase, les équipes ministérielles ont gagné en professionnalisme. A ce moment-là, les directives plus claires qu’au début ont été diffusées régulièrement, sur des sujets précis et au moment où on en avait besoin (par exemple = peut-on utiliser les climatiseurs ?). Les directives étaient beaucoup plus abordables et j’ai eu de moins en moins de travail de « traduction ».
Dans l’ensemble, le travail n’était pas simple et n’a pas été facile à encaisser par les équipes parce les directives des autorités publiques étaient changeantes d’une semaine sur l’autre à cause notamment, du côté inédit de ce virus.
- Que pensez-vous du très faible taux de contamination à Odynéo, que ce soit chez les résidents ou chez les professionnels ?
Je suis d’accord sur ce très faible taux. Au niveau national, le 16 juin 2020, Santé Publique France comptait presque 38 000 cas confirmés de Covid-19 chez des résidents d’établissements médico-sociaux en France, depuis le début de l’épidémie, avec même 10 457 décès chez ces personnes. On a aussi compté 20 260 personnels d’établissements médico-sociaux contaminés. A Odynéo, nous n’avons eu que 3 usagers malades confirmés par un test biologique, tous les 3 à leur domicile ou à celui de leur parent. Nous avons eu 4 professionnels malades. C’est triste bien entendu, mais ces chiffres sont heureusement très bas.
Est-ce la chance ? Est-ce le fait qu’Odynéo a confiné très tôt les établissements, mis en place une structure de gestion de crise très poussée ? Avec une cellule de crise qui se réunissait très régulièrement, un contact très rapproché entre les directions et les établissements, et une très forte implication de la Commission médicale associative (CMA) ? Pour moi, cette crise a été bien gérée grâce à une bonne réactivité et des directives claires en interne. Et ce d’autant plus, que l’association a pour particularité de regrouper des établissements très différents.
Grâce à l’intelligence collective, on a débattu ardemment, et ensuite on a suivi les décisions prises en groupe. Aujourd’hui, il y a toujours des discussions même si on est maintenant en veille.
Il a donc fallu s’adapter et ça a payé. Avec un facteur chance aussi.
- Et maintenant ?
Il ne faut surtout pas relâcher la veille mais il faut aussi relâcher la pression pour que les équipes, les familles et les usagers soufflent, prennent des vacances, profitent de leurs amis, tout en respectant les gestes barrières bien sûr.
Il faut s’attendre à une deuxième, voire une troisième, ou une quatrième vagues, et j’espère qu’Odynéo saura tirer les leçons de cette première crise.
Je vois la crise comme une opportunité de changements durables. C’est l’occasion de garder dans les tiroirs des procédures prêtes d’avance, à redéployer facilement en cas de nouvelle vague, ou en cas d’autres épidémies comme les gastroentérites ou la grippe, qui peuvent aussi très fortement impacter les usagers des établissements Odynéo et les équipes.
Personnellement, j’ai beaucoup aimé participer à la gestion de cette crise et mettre en œuvre tout ce que j’avais appris ces dernières années notamment au sein de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). On savait qu’une pandémie allait arriver mais on s’attendait plutôt à une mutation de la grippe et on ne s’attendait pas à ce qu’elle ait une telle ampleur, et que l’économie mondiale en soit stoppée pendant plusieurs semaines.
En Europe, les réactions m’ont paru exemplaires. Les personnes les plus vulnérables étaient les personnes âgées et nous sommes tous restés chez nous pour les protéger alors qu’elles sont souvent considérées comme une charge. Les jeunes ont beaucoup souffert et vont souffrir dans les mois qui viennent mais ils ont fait ça pour protéger les plus âgés. Pour moi, c’est la marque d’une avancée de notre civilisation.
Merci !